Shana Moulton

All I need is the air that I breathe
Crèvecœur, 9 rue des Cascades, Paris

X

Deep Breathe par Marie de Brugerolle.

On peut penser à un Post-Surréalisme appliqué, celui de Duchamp lorsqu’il invente des martingales ou dépose des brevets, ou de David Lynch, autant pour Twin Peaks que pour ses leçons de méditation transcendantale. Certainement un heureux Post-humanisme, rempli de joyeux féminisme. L’imaginaire de publicité télévisée est devenue une source et un folklore, au sens noble d’un art populaire. Shana Moulton pratique en conscience l’art d’être en re-présentation. Le déploiement en « pop-up » d’objets banals qui deviennent magiques par les trucages (incrustation, fondus, fenêtres et autres glissements de montage) rend compte d’une réalité scriptée, dans laquelle les objets peuvent être inhalés et expulsés par l’air conditionné.

Shana Moulton propose The Invisible 7th is the Mystic Column, une installation immersive mêlant vidéo, sculptures et objets scéniques. Ceux-ci ont été fabriqués ou détournés par l’artiste pour construire le décor d’un film performé.

La forme générique est celle d’une baleine, qui est support d’une double projection. Divisée en deux côtés, latéral gauche, et latéral droit, comme le système cognitif. D’un côté, des images trouvées sur internet, libres de droit et de l’autre des saynètes tournées dans des décors faits maison par l’artiste.

Une masse noire oblongue oblitère une étendue d’eau d’un lac dont les rives sont en feu. Nous retrouvons Cynthia, alter ego sans âge de Shana Moulton, en quête de solutions pour être mieux. Cette fois-ci, la quête de développement spirituel de l’héroïne se focalise sur la respiration. A partir de tutoriels collectés en ligne, la jeune femme performe avec maladresse des exercices d’inspiration et expiration profonde. Ceux-ci fonctionnent sur la synchronisation de la vision et du souffle. Au début du film, elle demande à Alexa, son assistante personnelle intelligente, de mettre en route sa routine d’entrainement respiratoire. La voix de ce robot domotique développé par Amazon est inspirée par celle du système de conversation de Star Trek TNG¹. A plusieurs reprises dans le film, on entend hors champ « How do you feel » ? Une imagerie ésotérique de pacotille se déploie à partir des clichés types (lac, montagne, bulles flottantes, étoiles à six branches…) censés détendre et amener à la méditation.

Le répertoire d’objets dérivés bon marché qui hantent les rayonnages du salon reprend des figures familières inspirées par les médecines alternatives : main de chiromancie, hippocampe, coquillage, sphère, spirale, idole féminine archaïque… La structure de l’étagère est un labyrinthe ouvert, reprenant la vague grecque antique. On retrouve ce motif sur une des robes vertes de Cynthia, lorsqu’elle se livre à une danse avec son fauteuil -à bascule-ballon.

Son corps présente des difformités que l’on retrouve au fil de ses aventures, comme des prothèses intégrées. Ici, c’est un postérieur augmenté en forme de bouée, inspiré des coussins médicaux. Ce qui ne l’empêche pas de s’envoler par l’oculus de sa chambre rose en forme de dôme. Est-elle happée par un vaisseau extra-terrestre ? The Enterprise échappé du prochain Star Trek 4 de Tarantino ?

Ou est-elle sujette à des hallucinations ? Ces fantasmes seraient la conséquence de l’inhalation des objets, des suites d’une trop profonde inspiration. Leurs formes fantomatiques, simulacres colorés générés par logiciel, flottent, tandis que Cynthia fait un rêve initiatique. Elle découvre dans une forêt une fabrique, édicule à colonnade, sorte de Mausolée Maçonnique. Il est en flammes. La septième colonne est cassée, symbole de la perfection perdue. Sur la table ronde est posée une coupe de verre rouge. Serait-ce le Graal de Cynthia ? Après ce premier voyage astral, le corps éthéré de la jeune femme rejoint son corps de chair sur son lit rose.

Des mains expertes retirent un à un les objets, lors d’une opération chirurgicale qui ressemble au jeu Docteur Maboul. Cynthia retourne dans la folie (autre nom
de ces édicules), guidée par les objets en lévitation. Lorsqu’elle boit à la coupe, un ciel étoilé apparait au-dessus d’elle. Elle aperçoit un ballet de baleines. Lorsque Cynthia s’installe au centre de la colonne cassée, elle recrée un passage vers l’espace sidéral. Elle est remplacée ensuite par son ventilateur-purificateur d’air agrandi. L’ellipse géante de celui-ci est une porte vers d’autres dimensions. Par cette brèche ouverte, apparaissent des cétacés géants. Les mondes supranaturel et naturel, terrestre et marin, intérieur et extérieur communiquent et finissent par former le décor d’un aquarium de cétacés échelle une. Le voyage initiatique fait passer le regardeur de l’autre côté du miroir hypothétique de l’écran et faire une expérience grandeur nature.

L’univers de Shana Moulton exacerbe les tracas de l’époque : isolement, anxiété, performance de soi, sans tomber dans la parodie. Au-delà du constat, ses personnages cherchent des solutions, vont au-delà d’eux-mêmes et traversent des niveaux de perception qui les transforment. Ils finissent par trouver du merveilleux dans
le quotidien, bricolent des épiphanies dans le salon ou la cuisine. A l’usage, on s’apercevra que son acharnement à « être mieux » fait de Cynthia son double possible : une pierre précieuse, une Artémis moderne.


¹ Star Trek Nouvelle Génération ou The Next Generation est une série télévisée de science-fiction américaine créée par Gene Roddenberry.

Deep Breathe by Marie de Brugerolle.

You might think of an applied Post-Surrealism, as with Duchamp when he invented martingales or registered patents, or with David Lynch, as much for Twin Peaks as for his transcendental meditation lessons. This is definitely a happy Post-Humanism, full of a joyful feminism. The imaginary of television advertising has become a source and folklore, in the noble sense of a popular art. Shana Moulton consciously practices the art of being in a re-presentation. The “pop-up” deployment of banal objects that become magical through effects (incrustation, fades, windows and other editing shifts) gives an account of a scripted reality, in which objects are inhaled and exhaled by the air conditioning.

Shana Moulton is presenting The Invisible 7th is the Mystic Column, an immersive installation mixing video, sculptures and scenic objects. These have been made or appropriated by the artist to build the set of a performed film.

The generic form is a whale, which is the medium of a double projection. This divided in half, into the left lateral and the right lateral, like the cognitive system. On the one side, there are images found on the internet, free of rights, and on the other side, there are sketches shot in home-made sets by the artist.

An oblong black mass obliterates an expanse of water in a lake whose shores are on fire. We find Cynthia, Shana Moulton’s ageless alter ego, searching for solutions to overcome her existential malaise. This time, the heroine’s quest for spiritual development focuses on breathing. From tutorials collected online, the young woman awkwardly performs deep breathing exercises. These work on the synchronization of vision and breath. At the beginning of the film, she asks Alexa, her smart personal assistant, to start her breathing training routine. The voice of this Amazon-developed home automation robot is inspired from the voice of the Star Trek TNG¹ conversation system. Several times in the film, we hear off-camera “How do you feel”? Esoteric junk imagery unfolds from typical clichés (a lake, mountain, floating bubbles, six-pointed stars…) which are supposedly relaxing and meditative.

The repertoire of cheap derivative objects that haunt the shelves of the living room takes on familiar figures inspired from alternative medicine: palmistry, a seahorse, a shell, a sphere, a spiral, an archaic female idol… The structure of the shelf is an open labyrinth, shaped like an ancient Greek wave. We find this motif on one of Cynthia’s green dresses, when she dances with her rocking-chair exercise ball.

Her body has clear deformities that can be seen throughout her adventures, like embodied prostheses. In this case, there is an increased posterior in the shape of a buoy. But, this does not prevent her from flying away through the oculus of her pink, domed room. Has she been caught by an alien ship? The Enterprise from Tarantino’s future Star Trek 4?

Or is she undergoing hallucinations? These fantasies could be the consequence of inhalations coming from the objects, or the consequences of an overly deep inspiration. Their ghostly forms, as coloured simulacra generated by software, float, while Cynthia has an initiatory dream. In a forest, she discovers a factory, a colonnaded aedicula and a kind of Masonic Mausoleum. It is in flames. The seventh column has been broken, as a symbol of lost perfection. On the round table has been placed a red glass cup. Could this be Cynthia’s Grail? After this first astral journey, the ethereal body of the young woman rejoins her fleshly body on her pink bed.

Expert hands remove the objects one by one, in a surgical operation that resembles an Operation game. Cynthia returns to madness (another name for these aediculae), guided by levitating objects. When she drinks from the cup, a starry sky appears above her. She sees a ballet of whales. When Cynthia settles at the centre of the broken column, she recreates a passage to sidereal space. She is then replaced by her enlarged air-purifying fan. This massive ellipse is a door towards other dimensions. Through this gaping hole, giant cetaceans appear. The supernatural and natural, terrestrial and marine, interior and exterior worlds communicate and end up forming the decor of a cetacean aquarium in real scale. This initiatory journey takes the viewer to the other side of the hypothetical mirror of the screen and makes for a life-size experience.

Shana Moulton’s universe probes the worries of our times: isolation, anxiety, self-performance, but without falling into parody. Beyond observation, her characters seek for solutions, to go beyond themselves and cross the levels of perception that transform them. They end up finding the marvellous in everyday life, tinkering with epiphanies in the living room or the kitchen. After use, you will realize that her determination to “be better” makes Cynthia her own possible double: a precious stone, a modern Artemis.


¹ Star Trek New Generation or The Next Generation is an American science fiction television series created by Gene Roddenberry.

EN : Deep Breathe par Marie de Brugerolle. On peut penser à un Post-Surréalisme appliqué, celui de Duchamp lorsqu’il invente des martingales ou dépose des brevets, ou de David Lynch, autant pour Twin Peaks que pour ses leçons de méditation transcendantale. Certainement un heureux Post-humanisme, rempli de joyeux féminism...
FR: Deep Breathe by Marie de Brugerolle. You might think of an applied Post-Surrealism, as with Duchamp when he invented martingales or registered patents, or with David Lynch, as much for Twin Peaks as for his transcendental meditation lessons. This is definitely a happy Post-Humanism, full of a joyful feminism. The ...
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Shana Moulton, The Invisible Seventh is the Mystic Column, 2021, 2 synchronized projections, 7’34.

Shana Moulton, The Invisible Seventh is the Mystic Column, 2021, 2 synchronized projections, 7’34.

Shana Moulton, The Invisible Seventh is the Mystic Column, 2021, performance, Crèvecœur, Paris

Shana Moulton, Untitled, 2021, inflatable doll, fabric, zinc, fishing wire, 200 × 100 × 100 cm.

Shana Moulton, Untitled for Now Then, 2020, personal steam sauna tent, projection screen, projector, wooden armature, wig stand, plastic hands, LED mask and humidifer, 124,5 × 86,5 × 73,70 cm.

Shana Moulton, Untitled for Now Then, 2020.
Detail.

Shana Moulton, Waterfall of Grief (2), 2021, HD video, 60’.

Shana Moulton, Waterfall of Grief (2), 2021, video HD, 60 mn.