Jorge Pedro Nunez présente sa première exposition personnelle en France à la galerie Crèvecœur.
La praxis de Nunez explore plusieurs champs dʼinvestigation, via lʼutilisation de médias variés. Un vocabulaire formel issu du cinétisme se marie à une filiation suisse abstraite des plus radicales. Cʼest sûrement son admiration pour les maîtres du néo-géo et de lʼorigine du postulat moderne qui ont conduit Nunez et ses recherches à proposer pour cette première exposition une série de pièces revisitant les thématiques et formes classiques de ces écoles : un pénétrable cinétique au traitement métaduchampien, une série de collages de filiation opʼart posant un regard amusé sur la publication Art Forum, un empilage de caisses de conditionnement récupérées et mises en installation, une projection dʼaplats de lumière revisitant la définition du tableau.
Après lʼobtention dʼun DNSEP (Diplôme national supérieur dʼexpression plastique) à lʼEcole Nationale Supérieure dʼArts de Cergy, Jorge Pedro Nunez commence aussitôt une série dʼexpositions personnelles et collectives (Abbaye de Maubuisson 2OO4, La Vitrine 2OO5, Force de lʼArt au Grand Palais 2OO6…). Le remix, lʼassociation, le collage sous toutes ses formes, le détournement, la compilation / réappropriation, la dé-définition de lʼoeuvre dʼart sont autant de points de départ du travail de Nunez. Non sans humour, combinant références ou clins dʼoeil à l’excès de références, Nunez travaille un vocabulaire formel qui, loin du confort du discours, se rapproche des positions du minimalisme suisse (Mosset, Parrino) ou dʼune Bridget Riley. Il utilise sciemment des matériaux et combinaisons renvoyant à une histoire de lʼart moderne parfois frôlant le palimpseste mais toujours dans une phratrie dʼobédience néo- conceptuelle.
Partant du postulat que lʼinterprétation constitue lʼoeuvre (citons la boite Brillo de Wharol), le travail de Nunez nʼannihile pas pour autant lʼobjet au profit du concept. Les caisses ne sont pas un artefact mais un cadre et un contenant, définissant son contenu comme espace de lʼoeuvre. Elles se rapportent aussi à la notion dʼenveloppement développée par Lavier ou Cristo. Nunez inscrit son travail dans lʼ « espace réel » défini par Carl André, au lieu de sʼen tenir à la simple surface du tableau.
De lʼintérieur des caisses on ne voit rien – on voit le rien. Nunez se réfère au processus de dématérialisation de lʼoeuvre dʼart tel que Joseph Kosuth lʼavait énoncé. Peut-être est-on au moment du passage du conceptuel dʼune société de lʼobjectalisation, vers une société de services, et dont la mutation serait suivie dans la production artistique (Cattelan, Seghal, Gréaud…) La délocalisation de caisses dʼemballage de surcroît associe à la réappropriation dʼéléments préfabriqués le détournement. Le statut de lʼauteur cher aux conceptuels sʼen trouve remis en cause.
La projection répond aux questions liées à la définition du tableau, énoncée par Maurice Denis, ainsi quʼà ce qui définit la peinture. En une composition cinétique de lumière, Nunez vérifie ainsi les préceptes ouverts par Luciano Fantana sur les potentialités du tableau à se muter en « concetto spaziale ». Nunez met en scène, interroge, se rapporte à une sublimation de lʼoeuvre, un télescopage élégant dʼavec lʼhistoire de lʼart et une certaine fiction, où perception et jeux sont brouillés. Une rencontre entre abstraction sophistiquée et une forme dʼhéritage revendiqué. Les collages de Jorge Pedro Nunez brouillent les pistes et redonnent à lire une certaine histoire de lʼart, entrecoupée, visitée, chahutée.
Jorge Pedro Nunez est né en 1976 Caracas (Vénézuela). Il vit et travaille à Paris.
Agnès Violeau
