Erica Baum, Isabelle Cornaro, Moyra Davey, Ilse Garnier, Pierre Garnier, Pierre Garnier and Seiichi Niikuni, Alain Guiraudie
Dans Rome, Emile Zola écrit «l’homme de génie résume l’époque, donne, à une heure de la civilisation, toute la sève du sol social, qui reste ensuite épuisé, parfois pour des siècles.» Pour l’exposition inaugurale de notre nouveau lieu à Marseille, nous avons choisi de faire de cette formule une définition de l’activité de l’artiste.
À travers des méthodes différentes, les artistes mettent en forme à partir d’un certain chaos du présent, qu’il soit langagier, naturel, intime, sexuel, urbain, technologique… Ils s’emparent de l’ordinaire et le font converger vers quelque chose qui s’apparente plus au mythe. Ils disent le présent, mais ils en modifient son historicité en le mettant aux prises avec un passé, forcément devenu fictif, et un avenir, entièrement imaginé.
Les artistes réunis dans cette exposition ont en commun une nécessité d’inventaire, d’état des lieux, aussi imparfait et partial soit-il.
Dans sa toute première série, Desktops, datant de 1994, présentée pour la première fois, Erica Baum déniche des fragments de poésie vernaculaire sur les bureaux d’étudiants. Dans les œuvres de la série Index (1999, 2000, 2002/2017) elle compile des extraits de tables de matières et des trames obtenues avec un scanner - en violant pour la première fois son principe de réalité photographique.
On y perçoit une anticipation des questions de classification de l’information - qu’elle soit «institutionnelle» ou spontanée, juste avant son passage à l’ère numérique.
Le travail d’Isabelle Cornaro décompose les typologies de l’histoire de l’art et les recompose avec une empreinte toute subjective. Intime, presque secrète, là où des cheveux humains deviennent les lignes soulignant la classicité de la perspective, en contraste avec le lyrisme du dessin. Narratif, cinématographique, le spray, œuvre réalisée in situ, s’inscrit dans une forme de persistance rétinienne.
Les expérimentations d’Ilse et Pierre Garnier, parfois en correspondance avec Seiichi Niikuni dans la série des Poèmes franco-japonais, ont permis de breveter le spatialisme, l’un des horizons possibles de la poésie concrète. C’est à la fois un relevé possible des pratiques engendrées par la machine à écrire, une explosion de la langue comme matière, une révolution poétique de la lettre.
Moyra Davey, qui présente deux films, Notes on Blue (2015) et Hujar/Palermo (2010) et une nouvelle installation photographique, Endless Love (2017) transforme ses objets photographiques en envois postaux. Ils deviennent ensuite de véritables cartographies, semblables à des indices historiques, ayant pourtant basculé dans une dimension fictive. Endless Love, dont la source provient des archives Rosenberg de la bibliothèque de Philadelphie, évoque la correspondance sulfureuse entretenue par Alice B. Toklas avec Bernard Faÿ et Mercedes de Acosta, poétesse.
Dans Du soleil pour les gueux, film de 2001, le personnage incarné par Alain Guiraudie, poursuivi par un chasseur de tête sans foi ni loi, sur sa propre terre, le Plateau des Causses, épaulé par une coiffeuse ayant déserté la ville et un berger qui a égaré ses bêtes doit affronter le dilemme d’une vie. «Carol Izba c’est un gars qui veut aller à Montpellier mais qui a peur de quitter son pays natal.» Sur la même terre, dans la lumière éclatante puis déclinante, il s’agit d’affronter l’autre.
Les œuvres choisies, installées dans un espace très ouvert - dévoilant une vision simultanée sur rue et sur cour, entre Haussmann et Pouillon, et qui, volontairement, garde les traces de ses usages passés, soulèvent la question de comment «rester vertical», selon le titre du dernier film d’Alain Guiraudie. Comment scruter le monde de notre position verticale, celle qui nous distingue de la posture animale, comment rester ériger en émergeant de l’informe, que retenir du déroulé incessant de l’activité humaine?
In Rome, Emile Zola wrote “a man of genius sums up his era, at a time in civilisation (à une heure de la civilisation), he provides all the sap of the social soil, which later remains exhausted, sometimes for centuries”. For the inaugural exhibition at our new site in Marseille, we have decided to adopt this turn of phrase as the defi- nition of an artist’s activity.
Using different methods, artists create form from a certain chaos in the present, whether it be linguistic, natural, intimate, sexual, urban, or technological… They take hold of the ordinary and make it converge towards something close to a myth. They express the present, but they modify its historicity by putting it up against the past, which has necessarily become fictional, and a future, which is entirely imagi- nary. What the artists brought together in this exhibition have in common is a need for inventories and stock- taking, no matter how imperfect and partial they might be.
In her very first series, Desktops, going back to 1994, and presented for the first time, Erica Baum has taken scraps of vernacular poetry from students’ desks. In the works of the Index series (1999, 2000, 2002/2017) she has compiled extracts from the lists of contents and raster lines obtained with a scanner – violating for the first time her principle of photographic reality. What can be seen here is an anticipation of questions of the classification of information – be it “institutional” or spontaneous, just before the arrival of the digital age.
Isabelle Cornaro’s work decomposes the typologies of art history and recomposes them with a totally sub- jective touch. It is intimate, almost secret, where human hairs become lines highlighting the classic nature of perspective, in contrast with the lyricism of drawing. Both narrative and cinematographic, the spray, a work produced in situ, is set in a form of retinal retention.
The experiments of Ilse and Pierre Garnier, sometimes in correspondence with Seiichi Niikuni in the series of Franco-Japanese Poems, have meant being able to patent spatialism, one of the possible horizons of concrete poetry. It is at once a possible exposure of the practices provided by the typewriter, an explosion of language as matter, and a poetic revolution of the letter.
Moyra Davey, who presents two films, Notes on Blue (2015) and Hujar/Palermo (2010) and a new photogra- phic installation, Endless Love (2017), transforms her photographic objects into postal ones. They then be- come genuine mappings, like historical indications, but which have tipped into a fictional dimension. Endless Love, whose source is the Rosenberg archives in the Philadelphia Library, evokes the steamy correspondence between Alice B. Toklas and Bernard Faÿ and the poet Mercedes de Acosta.
In Du soleil pour les gueux, the 2001 film, the character embodied by Alain Guiraudie, pursued by an unprin- cipled head hunter on his own land, the Plateau des Causses, supported by a hairdresser, who has deserted the town, and a shepherd who has lost his flock, needs to confront the dilemma of life. “Carol Izba is a guy who wants to go to Montpellier but who’s afraid of leaving his home turf.” On this same land, in sparkling then declining light, he thus confronts the other.
The selected pieces, installed in an extremely open space – unveiling a simultaneous view of the street and courtyard, between Haussmann and Pouillon, and which intentionally retains traces of its previous uses, raises the question of how to “remain vertical”, as in the title of Alain Guiraudie’s latest film. How to examine the world from our vertical position, which distinguishes us from having the posture of an animal, how to remain upright while emerging from the formless, and what should be kept from the ceaseless unfurling of human activity?