Dans la première exposition de Yu Nishimura à la galerie, qui se trouve être également sa première exposition en Europe, il y a treize peintures, toutes réalisées en 2020. La plus petite, Arts and crafts mesure 27,3 × 22 cm, et la plus grande Thicket, 259 × 182 cm. Ce qui apparaît en premier, c’est l’effet de superposition entre plusieurs couches, qui provoque un léger désalignement. Ce glissement qui s’opère dans sa peinture rend (littéralement) floues les frontières entre le réalisme (se rapportant à la mimesis photographique) et l’abstraction (l’univers inhérent à l’image), entre le premier et le dernier plan, et entre les différents points de vue avec lesquels le spectateur regarde la peinture. Alors que l’on regarde des œuvres planes, accrochées au mur, l’espace au centre n’est pas vide ; il est animé par ce qui se joue dans les peintures et entre les peintures. La zone de démarcation entre intérieur et extérieur est ici volontairement ambiguë.
Evoquant lui-même sa peinture, il écrit « It is an entrance; I cannot move forward unless a dog is more than a dog, or a cat is more than a cat. » Il serait intéressant de traduire ce terme entrance par le mot français « amorce ». Une amorce c’est le début de quelque chose, ce qui constitue la phase initiale d’une action. L’amorce c’est aussi - peut-être doit-on désormais dire « c’était » - ce morceau de film ou de bande magnétique placé au début et en fin de bobine pour en faciliter la manipulation. Et lorsque l’on interroge Nishimura sur ses influences picturales, voilà qu’il cite Takuma Nakahira, photographe et critique photographique japonais (1938-2005), auteur d’un livre radical et révolutionnaire For a language to come, qui fait se succéder sans logique et dans le flou, des paysages urbains, des fragments de rue, des passants. Il définit lui-même son style are, bure, boke (brut, flou, sans mise au point).
On se souvient que la peinture japonaise avait pour convention, au moins jusqu’au XVIIè siècle la perspective dite « en vol d’oiseau », soit en hauteur et légèrement en diagonale. C’est la technique du fukinaki yatai (littéralement « sans toit »). On peint des maisons dépourvues de toits afin de rendre visibles ce qu’il s’y passe à l’intérieur. Cela implique des compositions ambiguës entre l’intérieur et l’extérieur, entre le premier plan et l’arrière-plan. Progressivement, sous l’influence occidentale, la perspective centrale (linéaire) gagne du terrain tandis que dans la peinture occidentale le « japonisme » abolit le point de vue fixe, qui assignait au spectateur une position « de face » vis-à-vis du tableau. Et qui abolit également le second plan. Chez Nishimura, la synthèse est troublante, et il accentue ainsi l’effet d’empathie qu’on met en jeu, avec ces paysages, ces animaux, ces portraits. Car l’histoire des perspectives, il l’a aussi assimilée, comme tout individu de notre ère digitale, à l’image en mouvement. Peut-être nous met-il alors sur la piste d’une « post-image », dont on ne sait pas vraiment si elle provoque en nous une représentation, un souvenir, une apparition ou une disparition. Scene of beholder (scène de spectateur), c’est le titre de l’exposition de Yu Nishimura. C’est aussi la promesse de son récit pictural.
Yu Nishimura
Scene of beholder, Crèvecœur, ParisIn Yu Nishimura’s first exhibition at the gallery, which is also his first exhibition in Europe, there are thirteen paintings, all produced in 2020. The smallest one, Arts and Crafts measures 27.3 × 22 cm, and the largest Thicket, 259 × 182 cm. What immediately comes across is an effect of superimposition of several layers, which provokes a slight misalignment. This shift that occurs in his painting (literally) blurs the frontiers between realism (related to photographic mimesis) and abstraction (the universe inherent to an image), between the foreground and the background, and between the different points of view from which the spectator looks at the painting. Though we are looking at flat pieces, hung on the wall, the space in the centre is not empty; it is animated by what is at work in the paintings and between the paintings. The demarcation zone between the inside and the outside is here intentionally ambiguous.
Talking about his painting, he wrote: “It is an entrance; I cannot move forward unless a dog is more than a dog, or a cat is more than a cat.” An entrance is a starting point, the place where an action begins. In the theatre, it is also the moment when an actor enters the stage. When Nishimura is asked about his pictorial influences, he cites Takuma Nakahira, the Japanese photographer and photographic critic (1938-2005), who wrote the radically revolutionary book For a Language to Come, which contains, without any logic, a succession of blurred cityscapes, fragments of streets and passers-by. He defines his style as are, bure, boke (raw, blurred, unfocused).
It may be remembered that a convention in Japanese painting, at least until the 17th century, was a form of perspective called “bird flight”, in other words from on high and slightly diagonally. This is the technique of fukinaki yatai (literally “roofless”). Houses without roofs were painted so as to make visible what was happening inside. This implies ambiguous compositions between the interior and the exterior, and between the foreground and the background. Progressively, under western influence, central (linear) perspective gained ground, while in western painting “Japanism” abolished any fixed point of view, which gave the spectator a “face-on” position to the canvas. And it also abolished the background. For Nishimura, this synthesis is disturbing, and it emphasises the effect of empathy which is brought into play, with these landscapes, animals and portraits. Because he has also associated the history of perspectives, like any individual in our digital age, with an image in motion. Perhaps he is putting us on the track of a “post-image”, so that we cannot know if it triggers in us a depiction, a memory, an appearance or a disappearance. The title of Yu Nishimura’s exhibition is Scene of Beholder. It is also a promise of his pictorial narrative.