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Stéphane Calais, Kaye Donachie, Kees Goudzwaard, Renaud Jerez, Antoine Marquis

A general history of labyrinths, Crèvecœur, Paris

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« La partie langue et littérature était brève. Un seul trait mémorable : la littérature d’Uqbar était de caractère fantastique, ses épopées et ses légendes ne se rapportaient jamais à la réalité, mais aux deux régions imaginaires de Mlejnas et de Tlön… La bibliographie énumérait quatre volumes que nous n’avons pas trouvés jusqu’à présent, bien que le troisième - Silas Haslam : History of the land called Uqbar, 1874 - figure dans les catalogues de librairie de Bernard Quaritch. (1) Le premier, Lesbare und lesenswerthe Bemerkungen über das Land Ukbar in Klein-Asien, date de 1641. Il est l’oeuvre de Johannes Valentinus Andrea. Le fait est significatif; quelques années plus tard, je trouvai ce nom dans les pages inattendues de De Quincey (Writing, treizième volume) et j’appris que c’était celui d’un théologien allemand qui, au début du XVIIè sicèle, avait décrit la communauté imaginaire de la Rose-Croix - que d’autres fondèrent ensuite à l’instar de ce qu’il avait préfiguré lui-même. »
Jorge Luis Borges, « Tlon Uqbar Orbis Tertius » Fictions, 1944.

« Ce livre a son lieu de naissance dans un texte de Borges. Dans ce rire qui secoue à la lecture toutes les familiarités de la pensée - de la nôtre : de celle qui a notre âge et notre géographie -, ébranlant toutes les surfaces ordonnées et tous les plans qui assagissent pour nous le foisonnement des êtres, faisant vaciller et inquiétant pour longtemps notre pratique millénaire du Même et de l’Autre. Ce texte cite « une certaine encyclopédie chinoise » où il est écrit que « les animaux se divisent en : a) appartenant à l’Empereur, b) embaumés, c) apprivoisés, d) cochons de lait, e) sirènes, f) fabuleux, g) chiens en liberté, h) inclus dans la présente classification, i), qui s’agitent comme des fous, j) innombrables, l) dessinés avec un pinceau très fin en poils de chameau, l) et caetera, m) qui viennent de casser la cruche, n) qui de loin semblent des mouches ». Dans l’émerveillement de cette taxinomie, ce qu’on rejoint d’un bond, ce qui, à la faveur de l’apologue, nous est indiqué comme le charme exotique d’une autre pensée, c’est la limite de la nôtre : l’impossibilité de penser cela. (…) Quand nous instaurons un classement réfléchi, quand nous disons que le chat et le chien se ressemblent moins que deux lévriers, même s’ils sont l’un et l’autre apprivoisés ou embaumés, même s’ils courent tous deux comme des fous, et même s’ils viennent de casser la cruche, quel est donc le sol à partir de quoi nous pouvons l’établir en toute certitude ? Sur quelle « table », selon quel espace d’identités, de similitudes, d’analogies, avons-nous pris l’habitude de distribuer tant de choses différentes et pareilles ? Quelle est cette cohérence - dont on voit bien tout de suite qu’elle n’est ni déterminée par un enchaînement a priori et nécessaire, ni imposée par des contenus immédiatement sensibles ? Car il ne s’agit pas de lier des conséquences, mais de rapprocher et d’isoler, d’analyser, d’ajuster et d’emboîter des contenus concrets; rien de plus tâtonnant, rien de plus empirique (au moins en apparence) que l’instauration d’un ordre parmi les choses; rien qui n’exige un oeil plus ouvert, un langage plus fidèle et mieux modulé ; rien qui ne demande avec plus d’insistance qu’on se laisse porter par la prolifération des qualités et des formes. (…) L’ordre, c’est à la fois ce qui se donne dans les choses comme leur loi intérieure, le réseau secret selon lequel elles se regardent en quelque sorte les unes les autres et qui n’existent qu’à travers la grille d’un regard, d’une attention, d’un langage; et c’est seulement dans les cases blanches de ce quadrillage qu’il se manifeste en profondeur comme déjà là, attendant en silence le moment d’être énoncé. »
Michel Foucault, Les mots et les choses, 1966, préface. Le texte de Borges évoqué ici est Le langage analytique de John Wilkins, 1942.

« Au début de ce siècle, une structure s’affirma progressivement , d’abord en France, puis en Russie et en Hollande. Elle est depuis lors restée, dans le domaine des arts visuels, l’emblème de l’ambition moderniste. (…) A cause de sa structure (et de son histoire) bivalente, la grille est totalement et même allègrement schizophrénique. J’ai assisté et j’ai participé à des débats où il était question de savoir si la grille induisait l’existence centrifuge ou l’existence centripète de l’oeuvre d’art. Logiquement, la grille est susceptible de s’étendre dans toutes les directions à l’infini. Toute limite lui étant imposée par une peinture ou une sculpture donnée ne peut donc être qu’arbitraire. Grâce à la grille, l’oeuvre d’art se présente comme un simple fragment, comme une petite pièce arbitrairement taillée dans un tissu infiniment plus vaste. Ainsi envisagée, la grille procède de l’oeuvre d’art vers l’extérieur et nous oblige à une reconnaissance du monde situé au-delà du cadre. Il s’agit de la lecture centrifuge. Quant à la lecture centripète, elle va, tout naturellement, des limites extérieures de l’objet esthétique vers l’intérieur. Selon cette lecture, la grille est une re-présentation de tout ce qui sépare l’oeuvre d’art du monde, de l’espace ambiant et des autres objets. Elle fait passer par introjection les limites du monde à l’intérieur ; elle projette sur lui-même l’espace contenu à l’intérieur du cadre. C’est un mode de répétition dont le sens est que l’art est une convention ».
Rosalind Krauss, «  Grilles », L’originalité de l’avant-garde et autres mythes modernistes, 1986.

« Nous avons été entraînés à voir la peinture comme des « images », fictives, abstraites ou littérales, dans un espace habituellement limité et enfermé par un cadre, qui isole l’image. Il a été montré qu’il existe des possibilités autres que cette manière de « voir” la peinture. On peut dire d’une image qu’elle est « réelle » s’il ne s’agit pas d’une reproduction optique, si elle ne symbolise ou ne décrit pas ce qui appelle une image mentale. Cette image « réelle » ou « absolue » n’est confinée que par notre perception limitée. »
Robert Ryman in Wall Painting (Chicago: Museum of Contemporary Art, 1979). Traduction.

  1. Haslam a aussi publié A general history of labyrinths.

“The section on Language and Literature was brief. Only one trait is worthy of recollection: it noted that the literature of Uqbar was one of fantasy and that its epics and legends never referred to reality, but to the two imaginary regions of Mlejnas and Tlön… The bibliography enumerated four volumes which we have not yet found, though the third - Silas Haslam: History of the Land Called Uqbar, 1874 - figures in the catalogs of Bernard Quartich’s book shop (1). The first, Lesbare und lesenswerthe Bemerkungen uber das Land Ukkbar in Klein-Asien, dates from 1641 and is the work of Jo- hannes Valentinus Andrea. This fact is significant; a few years later, I came upon that name in the unsuspected pages of De Quincey (Writings, Volume XIII) and learned that it belonged to a German theologian who, in the early seventeenth century, described the imaginary community of Rosae Crucis - a community that others founded later, in imitation of what he had prefigured.”
Jorge Luis Borges, “Tlon Uqbar Orbis Tertius”, Fictions, 1944.

“This book first arose out of a passage in Borges, out of the laughter that shattered, as I read the passage, all the familiar landmarks of my thought - our thought, the thought that bears the stamp of our age and our geography - breaking up all the ordered surfaces and all the planes with which we are accustomed to tame the wild profusion of existing things, and continuing long afterwards to disturb and threaten with collapse our age-old distinction between the Same and the Other. This passage quotes a ‘certain Chinese encyclopedia’ in which it is written that ‘animals are divided into: (a) belonging to the Emperor, (b) embalmed, (c) tame, (d) sucking pigs, (e) sirens, (f) fabulous, (g) stray dogs, (h) included in the present classification, (i) frenzied, (j) innumerable, (k) drawn with a very fine camelhair brush, (1) et cetera, (m) having just broken the water pitcher, (n) that from a long way off look like flies’. In the wonderment of this taxonomy, the thing we apprehend in one great leap, the thing that, by means of the fable, is demonstrated as the exotic charm of another system of thought, is the limitation of our own, the stark impossibility of thinking that. (…) When we establish a considered classification, when we say that a cat and a dog resemble each other less than two greyhounds do, even if both are tame or embalmed, even if both are frenzied, even if both have just broken the water pitcher, what is the ground on which we are able to establish the validity of this classification with complete certainty? On what ‘table’, according to what grid of identities, similitudes, analogies, have we become accustomed to sort out so many different and similar things? What is this coherence - which, as is immediately apparent, is neither determined by an a priori and necessary concatenation, nor imposed on us by immediately perceptible contents? For it is not a question of linking consequences, but of grouping and isolating, of analysing, of matching and pigeon-holing concrete contents; there is nothing more tentative, nothing more empirical (superficially, at least) than the process of establishing an order among things; nothing that demands a sharper eye or a surer, better-articulated language; nothing that more insistently requires that one allow oneself to be carried along by the proliferation of qualities and forms. (…) Order is, at one and the same time, that which is given in things as their inner law, the hidden network that determines the way they confront one another, and also that which has no existence except in the grid created by a glance, an examination, a language; and it is only in the blank spaces of this grid that order manifests itself in depth as though already there, waiting in silence for the moment of its expression.”
Michel Foucault, The Order of Things, 1966, Preface. The Borges text to which the author refers comes from “The Analytical Language of John Wilkins” published in 1942.

“In the early part of this century there began to appear, first in France and then in Russia and in Holland, a structure that has remained emblematic of the modernist ambition within the visual arts ever since. Because of its bivalent structure (and history) the grid is fully, even cheer- fully, schizophrenic. I have witnessed and participated in arguments about whether the grid portends the centrifugal or centripetal existence of the work of art.6 Logically speaking, the grid ex- tends, in all directions, to infinity. Any boundaries imposed upon it by a given painting or sculpture can only be seen- ac- cording to this logic-as arbitrary. By virtue of the grid, the given work of art is presented as a mere fragment, a tiny piece arbitrarily cropped from an infinitely larger fabric. Thus the grid operates from the work of art outward, compelling our acknowledgement of a world beyond the frame. This is the centrifugal reading. The centripetal one works, naturally enough, from the outer limits of the aesthetic object inward. The grid is, in relation to this reading a re-presentation of everything that separates the work of art from the world, from ambient space and from other objects. The grid is an introjection of the boundaries of the world into the interior of the work; it is a mapping of the space inside the frame onto itself. It is a mode of repetition, the content of which is the conventional nature of art itself.” Rosalind Krauss, “Grids”, The originality of the avant-garde and other modernist myths, 1986.
“We have been trained to see painting as “pictures”, with storytelling connotations, abstract or literal, in a space usually limited and enclosed by a frame, which isolates the image. It has been shown that there are possibilities other than this manner of “seeing” painting. An image could be said to be “real” if it is not an optical reproduction, if it does not symbolize or describe so as to call up a mental picture. This “real” or “absolute” image is only confined by our limited perception.”
Rosalind Krauss, “Grids”, The originality of the avant-garde and other modernist myths, 1986.

  1. Haslam has also published A General History of Labyrinths.

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A general history of labyrinths - Galerie CrèveCoeur Loading

A General History of labyrinths, 2013, exhibition view, Renaud Jerez, Kaye Donachie, Stéphane Calais, Crèvecœur, Paris. © Isabelle Giovacchini

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A General History of labyrinths, 2013, exhibition view, Antoine Marquis, Kaye Donachie, Kees Goudzwaard, Paris. © Isabelle Giovacchini

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A General History of labyrinths, 2013, exhibition view, Antoine Marquis, Kees Goudzwaard, Paris. © Isabelle Giovacchini

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A General History of labyrinths, 2013, exhibition view, Stéphane Calais, Crèvecœur, Paris. © Isabelle Giovacchini

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A General History of labyrinths, 2013, exhibition view, Kaye Donachie, Stéphane Calais, Crèvecœur, Paris. © Isabelle Giovacchini

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A General History of labyrinths, 2013, exhibition view, Kaye Donachie, Crèvecœur, Paris. © Isabelle Giovacchini

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A General History of labyrinths, 2013, exhibition view, Renaud Jerez, Crèvecœur, Paris. © Isabelle Giovacchini

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A General History of labyrinths, 2013, exhibition view, Antoine Marquis, Crèvecœur, Paris. © Isabelle Giovacchini