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Anne Bourse

Gens qui s’éloignent, Galerie Édouard Manet, Gennevilliers

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J’ai longtemps fermé les yeux à la lumière du jour
Pour ne voir que le rouge de ma vie d’antan,
Revivre le dernier rêve avant ma naissance.



Inès di Folco Jemni nous plonge avec cette nouvelle série de peintures réunie sous le titre d’Elixir dans un entre-deux-mondes qui touche à notre plus intime mémoire de l’enfance. Un espace aux paysages et personnages aussi troublants que réconfortants que l’artiste a pu décrire précédemment comme celui du dernier rêve avant la naissance. L’omniprésence du rouge dans ses peintures évoque pour l’artiste l’intérieur protecteur du ventre maternel et ainsi le premier paysage vécu par l’enfant en devenir. Dans le vocabulaire visuel d’Inès, le rouge est protection et vie. Et en grandissant, il arrive souvent à l’enfant devenu adulte de continuer de fermer les yeux en quête d’apaisement. Derrière les paupières closes trop fortement pour oublier un instant la réalité, le noir cède souvent au rouge. J’ai longtemps fermé les yeux à la lumière du jour, pour ne voir que le rouge de ma vie d’antan, revivre le dernier rêve avant ma naissance. Les pigments qu’Inès mobilise dans son geste pictural ne sont pas anodins, elle les manie comme une alchimiste en quête d’un remède et soucieuse du caractère sacré de l’essence minérale de ces substances. La peinture dans sa vie est un elixir destiné à entretenir toujours et encore l’amour des siens. Comme dans le reste de son œuvre, famille biologique et choisie, ancêtres, divinités, et autres figures tutélaires flottent au sein de paysages aqueux, volcaniques et végétaux. On retrouve plus particulièrement dans cette série la récurrence de la figure maternelle et des aïeules. Dans une de ses peintures, une de celles de petits formats, on y rencontre par exemple Rosa, l’arrière-grand-mère de l’artiste qui fabriquait des miroirs. Elle apparaît comme camouflée dans un jardin fleuri. « A la recherche du jardin de nos mères…» car à la manière d’Alice Walker dans cet essai publié originellement en 1972 qui donnera ensuite le titre à son ouvrage de 1983, l’autrice africaine-américaine et l’artiste cherchent dans les fragments de vies héritées de leurs ancêtres féminins à retracer et revendiquer leurs propres généalogies créatives, loin des canons de l’histoire de l’art. Dans le dernier rêve avant de naître, il y avait sans aucun doute Rosa, il y avait déjà la tendresse et la créativité des mères. L’amour des siens, l’amour de l’art.


Et c’est l’art, la peinture, cet elixir, qui la ramène à la beauté de cette vérité. Chaque peinture la guide dans cette quête d’une quintessence de sensations de cet espace entre rêve et réalité. Un espace-temps particulier vécu de l’intérieur mais qui se mêle aux hallucinations visuelles de paysages extérieurs. Dans son œuvre, les paysages à l’aube et dans la nuit sont des personnages à part entière dont l’artiste raconte les tumultes, les embrasements, les bourrasques. Il y a souvent quelque chose ici peint de l’insulaire volcanique jamais préservé du risque d’être submergé. Les terres et eaux qu’on empoisonne s’infiltrent dans nos songes qui contiennent la prescience d’un monde hostile où il faudra peut-être un jour apprendre à survivre avant même de naître. Inès peint avec tendresse, amour, nostalgie mais également colère. La colère sourde des mères qui veulent prendre soin, protéger et qui refusent de sombrer dans le sentiment d’impuissance. Son travail est est doux et puissant, il nous touche dans l’âme et réveille les mers enfouis en nous. Si on écoute attentivement ses peintures, il y a l’écho d’une vague en pleine nuit, et dans cet écho nous parvient le chant lointain des récits de nos commencements.


— Amandine Nana

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Anne Bourse, Prisone, 2022
Printed velvet, alcohol felt, gold thread, foam, cotton wool
130 × 70 × 10 cm

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Anne Bourse, Garçon miroir in mimosa blossom storm, 2022 
Printed velvet, silk, wool, kakop, nail polish and powder, glass, copper, tin, lead, mirror, printed paper, mimosa flowers
120 × 90 × 40 cm

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Anne Bourse, Blossom storm, 2022 
Ballpoint pen and typex on coated paper

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Anne Bourse, Ssxx scx xsc xs c s xs xs II, 2022
Ink, thread, silk, cotton wool, foam
190 × 90 × 10 cm

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Anne Bourse, Ssxx scx xsc xs c s xs xs III, 2022
Ink, thread, silk, cotton wool, foam
190 × 90 × 10 cm

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Anne Bourse, Magnetika dans les pages jaunes, 2022
Gold thread, found yellow pages, blue jeans, ink, paper, pins
35 × 35 cm

Exhibition views, Anne Bourse, Gens qui s’éloignent, Galerie Édouard Manet, Gennevilliers, 2022.
Photo : Margot Montigny.