La dépense, avec témoins est une exposition prenant la forme d’une économie, un système de circulation de sens autant que de valeur. Elle réunit trois machines connectées en ligne pour gagner de l’argent afin de fournir les finances nécessaires à la production des œuvres d’artistes invités, en présence de trois pièces liées à l’histoire de la Critique Institutionnelle empruntées à des institutions.
Les Workers, sculptures-serveurs hybrides de Xavier Antin, sont installées au sous-sol de l’espace d’exposition. Connectées à Internet, ces sculptures gagnent de l’argent en validant des transactions sur le réseau de la plus populaire des crypto-monnaies, le Bitcoin, à la fois symbole d’une promesse d’émancipation de l’économie moderne centralisée, mais aussi spectre de l’hyper financiarisation et dématérialisation de l’économie. Cet argent, lentement accumulé durant le temps de l’exposition est reversé chaque semaine aux trois artistes invités à le dépenser : Eva Barto, Kevin Desbouis et Guillaume Maraud.
Rembourser et la fabrique d’un système. de l’artiste Eva Barto forment les deux faces d’un même geste d’annulation, ou de neutralisation. Rembourser s’emploie à réinjecter l’argent versé par les Workers dans l’économie de l’exposition, en contribuant au remboursement de l’électricité consommé par les machines. Les reçus émis et les factures EDF sont rendu disponible à la consultation au siège de la galerie Crèvecœur, à Paris, durant le temps de l’exposition. la fabrique d’un système., pour sa part, présente un “magic wallet” démonté partiellement accroché au mur. L’objet dévoile la construction précaire d’un dispositif dont le nom évoque un potentiel d’arnaque.
23102015, de Guillaume Maraud, est un fond de soutien voué à la lutte contre les logiques et systèmes de domination que l’artiste estime inhérents au champ de l’art contemporain. Le dispositif présenté mêle une urne de donation empruntée au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris détournée au profit de 23102015, accompagnée par un ensemble d’urnes funéraires et d’un assemblage du mobilier de la galerie Crèvecœur Marseille, réquisitionné et immobilisé au centre de l’espace d’exposition. Parallèlement, une part des revenus des Workers est automatiquement reversée au fond 23102015 durant le temps de l’exposition.
Untitled (Suicidal Dogs), de Kevin Desbouis, est un ensemble de trois contenants à alcool en céramique émaillée, représentant un chien alcoolisé au bord du suicide. Leurs socles respectifs contiennent des boites à musique à remontoirs. Figurant la position intenable de l’artiste dans le contexte convoqué par l’exposition, ces céramiques sont dispersées dans l’espace et irrégulièrement activées par le personnel de la galerie. Parallèlement, un ensemble d’enveloppes en vélin noir cachetées à la cire sont dispersées dans l’espace. Elles contiennent une première version d’un texte intitulé Salt Bath, un ‘‘drama-vampire-abolitionniste’’ que l’artiste a entrepris d’écrire durant le temps de l’exposition, rémunéré par le travail des Workers. Une édition de 50 exemplaires de ces enveloppes est disponible gratuitement sur demande auprès de l’accueil de la galerie. Elles contiennent une édition dactylographiée et partielle du texte, dont la suite sera mise à disposition dans un second temps de l’exposition. Salt Bath est également disponible sur le site internet de la galerie.
Parallèlement aux artistes invités, la présence de trois artistes proches de l’histoire de la Critique Institutionnelle est convoquée. Ce courant des années 70-80 désigne un ensemble hétérogène d’artistes attachés à révéler les dispositifs de fonctionnement et d’agencement du pouvoir des institutions artistiques. Le fait que ces pièces aient été empruntées à des institutions, ou nécessitant leurs autorisations express, n’est pas étranger à l’intérêt qui leur sont portées ici.
Le travail de Michael Asher(1) est ici représenté par une reproduction : deux pages d’un catalogue publié en 1996 par Le Consortium, à Dijon, à l’occasion d’une exposition monographique de l’artiste. Pour ce projet spécifique, l’artiste avait fait reproduire sur les murs de l’espace d’exposition les dessins techniques, en coupe à l’échelle 1:1, d’un ensemble de chaudières de bâtiments institutionnels de la ville. Parallèlement une série de cartes postales représentant la photographie des chaudières fut éditée. Les pages de ce catalogue sont présentées avec l’autorisation de la Fondation Michael Asher, qui en a également rédigé les cartels.
Flexible Hifi (Antwerp), entre meuble en kit et mobilier DIY, est l’un des objets régulièrement produits par Joe Scanlan, replaçant à sa manière la figure de l’artiste comme producteur sur le marché de l’art, paroxisme d’une société capitaliste à laquelle nul ne peut échapper. L’œuvre est un prêt du FRAC Champagne-Ardenne.
Enfin, le JK, Versailles de John Knight, prêté par le FRAC Centre, reprend les initiales de l’artiste pour former un monogramme signant l’espace dans lequel il est installé, brouillant la frontière entre le logo de la marque et la signature de l’artiste.
La dépense, avec témoins est un projet de Xavier Antin.
- Présentation de la documentation d’une œuvre de Michael Asher, avec l’aimable autorisation de la Fondation Michael Asher ↑