La galerie Crèvecœur est heureuse de présenter la première exposition de l’artiste vénézuélienne Sol Calero à Paris, Milagritos y Frutas. Dans son exploration de l’exotisme, Sol Calero s’intéresse aux notions de projection et d’idéalisation qui surgissent lorsqu’on commence à imaginer des choses qui nous sont étrangères. Elles donnent lieu à une imagerie iconique, standardisée. La réalité, d’autre part, n’est jamais aseptique ni plate, brillante ou bordée. Elle est sale, incertaine, indéfinie, stimulante, violente et décevante. Ces deux strates s’incarnent dans l’unité et dans le contraste, dans le travail de Sol Calero. Dans une tonalité festive et lumineuse, elle convoque des enjeux de positionnement et des récits canoniques, des situations d’inclusion et d’exclusion, et déterre les iconographies répandues d’un tropicalisme diffus.
Pour cette exposition, Calero combine des éléments de deux séries récentes qui suivent la trajectoire formelle de sa pratique de la peinture à la sculpture. Ses peintures procèdent d’une façon similaire aux souvenirs : soit des idées traduites dans des objets qui concentrent plusieurs couches d’identité auto-projetée. Les traits culturels, les traditions, les points de repères, les événements historiques sont neutralisés et déployés dans des objets de loisirs orientés pour la consommation. Le souvenir n’est pas un objet sorti de son contexte, mais un objet créé pour encapsuler un contexte, et le diluer dans une interprétation diffuse. Sol Calero envisage ses peintures comme des souvenirs de ses installations en suivant un procédé similaire à celui qui fait que les identités sont exportées : auto-performatives, elles s’inventent dans le regard de celui qui y est extérieur.
Dans la série de peintures Frutas, le travail de concentration et de juxtaposition évoquent des visions de lieux saturés par des objets, des tissus, des décorations peintes, des gens, des tenues, des paysages naturels et urbains – tout à la fois. Dans ces scénarios remémorés, qu’il s’agisse d’un marché, d’une jungle, d’une place, tout se passe en même temps : les sons, les interactions, les échanges, les offres, les senteurs, les services, les textures, les artefacts et les matières biologiques. Différentes cultures, à la fois résilientes d’anciennes cultures et des cultures neuves, imposées et assimilées, cohabitent dans un chaos à l’harmonie impossible. Ces nouvelles peintures couvrent une palette allant de verts très vifs et brillants, roses, jaune et bleus, à une gamme de marrons aux teintes équivoques. Depuis son exposition « Tente en el aire », qui faisait référence à la période coloniale de la peinture de castes de la région andine, Calero explore la signification du pigment dans l’histoire de l’art, comme une réflexion sur les récits classificatoires qui définissent les hiérarchies et les voix.
La première série des Milagritos, ou petits miracles, ont été montrées dans l’exposition Pica Pica au Kunstverein de Düsseldorf. L’âme de Pica Pica est une icône de dévotion populaire au Vénézuéla : la légende veut que José Zambrano, un berger gravement malade, s’allongeant à l’ombre d’un arbre Pica Pica pour y mourir, accompagné de sa mule, fut trouvé par un autre berger, qui avait perdu ses bêtes. Ce dernier couvrit son corps de branches, et promit que, s’il retrouvait ses bêtes, il reviendrait pour lui faire une véritable sépulture. Comme il retrouva son troupeau, il tint sa promesse et enterra l’homme. L’histoire dit que l’âme de José Zambrano – devenu l’âme du Pica Pica – accorde des miracles. L’endroit devint un lieu de pèlerinage où les gens viennent émettre des souhaits et font une promesse en échange, ramenant le cas échéant un témoignage de leur miracle réalisé.
Les peintures sculpturales de Sol Calero viennent précisément de son expérience personnelle : enfant, sur le chemin entre la ville où elle habitait et la maison de sa grand-mère dans les plaines rurales du Vénézuéla, où elle passait ses vacances, elle et sa famille s’arrêtaient systématiquement dans une chapelle dédiée à « l’Anima del Pica Pica ». Tous les voyageurs étaient contraints de s’y arrêter pour lui rendre hommage, s’assurant ainsi un voyage sans embûches.
Milagritos est donc une série d’objets qui recrée une pratique très commune de syncrétisme religieux en Amérique Latine prenant la forme d’un folklore anodin. Ces objets miniatures remplissent les chapelles et les autels, ils sont vendus et transportés par les gens comme des symboles de leurs vœux. Les dévots façonnent des formes qui sont des traductions littérales de leurs attentes : une jambe pour une guérison de fracture, un cœur pour un amour romantique, une clé pour une maison, un livre pour un diplôme. Comme dans les coutumes pré-hispaniques, l’acte de la représentation symbolique invoque un phénomène dans une sorte de rituel mimétique. Cela se combine avec la « sanctification » de figures locales légendaires, et le résultat devient un exemple de systèmes juxtaposés : un univers pré-existant et un univers colonisé.
Le vocabulaire de Sol Calero apparaît comme une commémoration de stratégies d’identification, où la construction de soi devient un medium d’action sociale. De la même façon, les mosaïques, le plastique ondulé, le treillage et l’usage de la couleur qui surgissent dans son travail font écho aux capacités des individus et des communautés à s’adapter ; à créer une esthétique de survie tout en exprimant leurs idiosyncrasies.
Sira Pizà