Pour sa deuxième exposition à la galerie Crèvecœur, Shana Moulton poursuit l’exploration de son alter-ego Cynthia dans sa faculté à faire apparaître dans le secret de son espace domestique, des portails créant des connections insoupçonnées entre plusieurs dimensions, lieux, moments de sa vie qu’on regarde depuis 2002, au travers de presque une vingtaine d’épisodes.
Au fil des années, on a suivi ce personnage muet et burlesque, toujours vêtue en robe d’intérieur, se plonger dans des expériences parallèles, quittant sa maison remplie d’objets thérapeutiques, décoratifs et homéopathiques pour de grands espaces naturels spectaculaires où elle finit toujours par se libérer. Cynthia est embarquée dans un voyage sans fin afin de surmonter son isolement, son anxiété et son hypocondrie, largement entretenues par sa consommation de l’univers numérique et des publicités de développement personnel.
Parmi les œuvres présentes dans cette nouvelle exposition, figure une installation sculpturale où un mannequin traverse un mur. Ces œuvres sont une référence directe à la nouvelle de Charlotte Perkins Gilman, La Séquestrée, publiée en 1892, considérée comme un texte important des débuts du féminisme en littérature, qui dénonçait l’absence de vie sociale des femmes hors du foyer et l’environnement oppressif de la société patriarcale. Le personnage principal, qui est également la narratrice, est fermement invitée par son mari à garder le repos dans sa maison pour guérir ce qu’il considère comme un épisode dépressif. Au fur et à mesure, elle devient obsédée par la couleur jaune et le motif du papier peint de la chambre qu’elle doit garder. Elle finit par y voir des femmes emprisonnées, tout comme elle.
Sa nouvelle vidéo Act one from Whispering Pines 10 (avec Nick Hallett) emprunte autant à cette nouvelle qu’à l’imitation par Cynthia de l’héroïne Julia “Butterfly Hill”, militante écologiste américaine qui passa 738 jours dans un séquoia géant pour éviter sa destruction.
Feed the Soul symbolise les différentes étapes de l’actualisation de soi que Cynthia traverse dans sa quête inachevée.
Life as an INFJ, installation réalisée pour son exposition personnelle à la Kunsthaus de Glarus, évoque la technique d’embaumement égyptienne où les organes momifiés, enveloppés dans du linge étaient conservés dans des vases canopiques, à côté du corps. Chez Cynthia, les bibelots qui emplissent sa maison deviennent des vases canopiques recevant ses organes. INFJ (Introversion + Intuition + Feeling + Judging) est l’une des 16 personnalités-types définies par l’indicateur de Myers-Briggs. C’est l’une des définitions de Cynthia.
Allant au-delà de l’humour qui apparaît immédiatement dans cette œuvre, Mood Swings poursuit les tentatives de l’artiste dans sa quête de libération intime des différentes formes d’oppression contemporaines.