Une exposition de Julien Carreyn avec Ker Xavier, Jorge Mantas, Claudine Monchaussé.
Commissaire : Benoit Maire.
Lorsqu’il était élève au lycée Mongazon à Angers, Julien Carreyn découpait des photos dans la Gazette Drouot ou dans le Courrier de l’Ouest afin de remplir des cahiers de ces images trouvées, qu’il organisait en chemins de fer, méthodiquement mais spontanément, bien avant de découvrir que cette pratique était une forme d’art, comme chez Hans-Peter Feldmann.
DJ dans les rave-parties du milieu des années 90, il cherchait à enregistrer l’enchaînement le plus juste sur le format de l’époque : la cassette de deux fois 45 minutes. Des enchaînement sonores effectués à partir de disques underground revendiquant une grande radicalité stylistique sous couvert de mystère et d’anonymat.
Après avoir exercé la profession de directeur artistique (notamment des livres érotiques aux éditions Taschen) JC recentre son activité autour de la production d’images, dessins et photographies. Mais, que ce soient ses dessins effectués d’après des images trouvées, ou ses photographies tramées grossièrement à la manière de la presse quotidienne , tout dans ses images revendique une nouvelle fois cette ouverture, cette disponibilité vers le « jeu des agencements ». Depuis Julien Carreyn s’est appliqué avec beaucoup de persévérance, et un brin d’obsession, à produire un corpus de plus en plus dense, explorant des territoires aussi variés que l’est sa culture transversale de l’image et qui englobe aussi la bande dessinée érotique des années 70, la peinture impressionniste, l’illustration jeunesse…
Repassage, la première exposition de Julien Carreyn à la galerie Crèvecœur posait les bases d’un programme que l’artiste a suivi pendant deux ans où il ne s’imposait que deux contraintes : la fusion dessin/photo - effort d’appropriation de l’image, souvent cinématographique par le pastel - et l’interdiction de la couleur.(1) « Trop de couleurs distrait le spectateur »(2)
L’atelier des filles, sa deuxième exposition à la galerie, faisait passer le territoire de l’artiste d’un vaste monde cinématographique universel à un univers plus rétréci, mais en couleur, celui d’un atelier de production fictif, au moins tout aussi allégorique que l’atelier du peintre de Courbet. Il y posait les jalons d’une histoire où des filles, jouant au modèle académique, se déguisant avec des survêtements insignifiants, confectionnaient de singuliers découpages. Une histoire somme toute assez banale, teintée d’une esthétique « municipale » mais qui se révélait dans l’accumulation d’indices de plus en plus familiers, reflétant un jeu de miroir sans fin.
Plus récemment les photographies d’extérieur de JC explorent notre pays, ses difficultés à négocier son prestige essentiellement lié au passé, et son esthétique obéissant aux critères et goûts que l’on suppose être celui des classes moyennes. Il ne s’agit ni d’une approche critique ni d’un témoignage mais plutôt d’une fuite ; un désir d’éloignement spatio-temporel dont le point de départ serait une zone péri-urbaine située au bord du rien. Dans cette exploration, tel parking à demi-vide ou telle enseigne de salon de coiffure deviennent, soumis à certains choix esthétiques de cadrage et de distance, une composition à la manière de Morandi (substituant des Renault Mégane et Citroën Picasso aux bouteilles, cônes et entonnoirs) ou un curieux mélange de sémiologie et nostalgie. Certaines images sont imprimées en noir et blanc sur des objets, peut-être des presse-papiers en plexiglas de format carte postale, d’autres subissent un traitement dans lequel certaines couleurs sont voilées, atténuées ou supprimées (généralement le vert et le jaune), soulignant l’approche de l’esthète sans renier la séduction étrange advenue du charme discret de la fadeur. Après ces interventions, ce qui reste de proximité dans le corpus est encore écarté au profit de la loi du genre, ici le nu, dont l’apparition ponctuelle génère l’artifice et déplace l’ensemble des images dans le domaine de la mise en scène et la fiction pure.
Pour sa troisième exposition à la galerie, Julien Carreyn présente ce dernier corpus d’images, dont Benoît Maire est l’interprète, scénographe et commissaire d’exposition. Les photographies et films, confrontés aux totems en grès de Claudine Monchaussé, aux meubles produits ou chinés de Ker-Xavier, à la musique éthérée de Jorge Mantas, suscitent une coloration émotionnelle que Benoît Maire, dans une intuition venue en fin de matinée, à l’arrière d’une automobile circulant boulevard de Belleville, a intitulé – fort énigmatiquement – « Photographies du soir ».